L’heure de vérité approche pour François Bayrou sur le dossier volcanique des retraites. En janvier, le Premier ministre avait en partie assuré son sursis à Matignon en renvoyant les modalités de l’impopulaire réforme de 2023 dans les mains des partenaires sociaux. Charge à eux de s’accorder sur un réexamen des paramètres et des droits, à condition d’assurer l’équilibre du régime à l’horizon 2030. Pour rappel, les partenaires doivent trouver 6,5 milliards d’euros de financement pour ramener le système à l’équilibre.
Après cinq mois de discussions, les partenaires sociaux restés à la table du « conclave » se retrouvent pour une ultime réunion ce mardi 17 juin, pour tenter d’arracher un compromis de dernière minute. Le conclave qui devait initialement se conclure fin mai, pourrait même si le besoin en était exprimé, jouer encore une fois les prolongations.
L’impossible consensus sur l’abandon de l’âge légal de départ à 64 ans
Dès l’engagement du huis clos social, il est vite apparu qu’un compromis pour modifier l’âge légal de départ à la retraite relevait d’un miracle. Les organisations syndicales avaient fait de l’abrogation du relèvement de 62 à 64 ans, mis en place par la réforme Borne, leur revendication phare. De façon symétrique, les représentants du patronat s’étaient montrés aussi inflexibles à conserver la clé de voûte du texte adopté par 49.3 il y a deux ans.
Cette pierre d’achoppement avait conduit trois des acteurs de la délégation à se retirer. Opposé à une « mascarade », Force ouvrière avait été le premier syndicat à claquer la porte, et ce, dès le premier jour. Mi-mars, deux autres membres ont suivi : côté patronat l’U2P (Union des entreprises de proximité), considérant que « revenir à 62 ans » n’était « pas sérieux », et côté syndicats la CGT, furieuse du « non » de François Bayrou sur l’hypothèse d’un retour à l’âge légal qui prévalait avant 2023.
La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) s’était toutefois montrée ouverte en février à bouger sur la question des 64 ans, à condition qu’un mécanisme d’indexation sur l’espérance de vie soit mis en place. Le Medef avait, quant à lui, fait savoir qu’il fallait préserver « a minima » l’âge de départ à 64 ans. Le sujet est insoluble, d’autant que le Conseil d’orientation des retraites a lui aussi assombri l’espoir d’un retour aux 62 ans.
Matignon se montre confiant dans la dernière ligne droite
Dans ces conditions, pour les syndicats encore présents, l’enjeu est désormais d’obtenir des aménagements acceptables en contrepartie de ce maintien. La semaine dernière, les trois syndicats et les deux organisations patronales ont semblé faire un pas l’un vers l’autre. A ce stade, la secrétaire générale de la CFDT Marylise Léon, tout comme le président du Medef, Patrick Martin, interviewés tous les deux dans La Tribune dimanche, estiment les chances de succès du conclave à une sur deux.
Le Premier ministre se montre lui-même toujours convaincu que la « possibilité » d’un accord existe. « Alors qu’on partait de positions très éloignées, il me semble que les choses ont quelque peu avancé », a déclaré François Bayrou au Parisien. Le locataire de Matignon se montre ouvert à donner un peu plus de temps au conclave pour déboucher sur des propositions partagées. « Je n’exclus pas qu’ils aient besoin de quelques jours de plus », a-t-il fait savoir au quotidien francilien. Matignon envisage en parallèle de venir avec ses propres propositions. Selon La Tribune, le gouvernement étudierait la possibilité de mettre en place une prime senior, au-delà des surcotes existantes, pour inciter les salariés proches de la retraite à travailler au-delà de l’âge légal. Selon l’AFP, rien n’est encore acté.
Le niveau de pension des femmes et la question du taux plein, sujets de la dernière ligne droite
Les syndicats tentent de décrocher quelques avancées. Ils placent désormais un autre âge dans la balance : celui de l’âge du taux plein. La réforme Fillon de 2010 a repoussé cet âge de 65 ans à 67 ans. En partant avant cet âge, un salarié qui ne dispose pas du nombre de trimestres requis, subit une décote de sa pension. Les syndicats, comme la CFDT ou la CFTC, demandent de ramener le seuil à 66 ans, une mesure de « justice sociale » selon eux, qui pourrait bénéficier aux femmes, aux carrières souvent interrompues.
Dans son rapport flash sur la situation financière des retraites rendu public en février, la Cour des comptes n’a pas évalué ce type de scénario. Mais le chiffre de 1,2 milliard d’euros d’ici 2030 circule déjà au niveau du patronat, qui juge le coût élevé.
De son côté, le Medef propose aux femmes qui ont acquis des trimestres supplémentaires, au titre de la maternité, de pouvoir bénéficier d’une amélioration de leur niveau de pension « en modifiant le calcul du salaire annuel moyen ». La mesure serait financée par la suppression en contrepartie de la surcote parentale à partir de 63 ans, instaurée par la réforme Borne, ce dont ne veut pas la CFE-CGC par exemple.
Bataille jusqu’à la dernière minute sur l’amélioration de la prise en compte de la pénibilité
S’ils ne font plus de l’âge légal un prérequis, les syndicats entendent cependant revenir sur les 64 ans à travers la question de la « pénibilité », un sujet sur lequel ils se savent particulièrement attendus sur le terrain. Ce sera l’un des points majeurs des derniers échanges à venir. La CFDT demande même à étudier un « mécanisme d’âge de départ à la carte ».
En matière de prise en compte de la pénibilité, le Medef considère avoir fait un « énorme pas », soulignait Patrick Martin dans les colonnes de la Tribune dimanche. Dans un document publié le 10 juin, la principale organisation patronale propose de revoir le compte professionnel de prévention, pour que celui-ci prenne en compte la manipulation de charges lourdes, les postures pénibles ou les vibrations mécaniques. Mais il demande en contrepartie l’abandon de la réparation pour les actifs abîmés par l’usure professionnelle, préférant jouer sur les reconversions ou la formation.
Le Medef se montre aussi ouvert à modifier le dispositif de l’inaptitude ou invalidité, « qui concerne aujourd’hui près d’une personne sur 7 qui liquide sa retraite », en évoquant un abaissement de l’âge de départ de 62 ans à 61 ans.
Si la CFDT a bien noté une ouverture de la part des représentants des employeurs, le syndicat espère aller plus dans la reconnaissance de critères de pénibilité. Dans le même hebdomadaire, la secrétaire générale Marylise Léon estime que la position du Medef est aujourd’hui « inacceptable ». « Nous notons une avancée sur la prévention, mais il n’y aura pas d’accord avec la CFDT si le patronat n’avance pas plus sur la pénibilité, s’il n’avance pas sur le volet réparation », a-t-elle prévenu.
Il n’est pas le seul syndicat à faire pression. « Selon moi, il perdure une voie de passage, étroite certes mais réelle, pour déboucher sur un projet d’accord, à condition que la partie patronale y mette du sien avec des efforts qui soient réellement partagés, ce qui est loin d’être garanti à ce stade », considère également Christelle Thieffinne, cheffe de file CFE-CGC de la négociation. « On va demander à ce qu’il y ait des rectifications, sinon on ne posera pas d’avis positif sur ce document », a prévenu Pascale Coton, vice-présidente de la CFTC.
Outre la retraite anticipée, les syndicats poussent également pour une amélioration de la retraite progressive. Ce dernier axe, qui concerne l’emploi des seniors, s’annonce toutefois beaucoup moins sensible que la pénibilité. Les syndicats veulent un droit opposable pour que les salariés qui veulent ouvrir leurs droits à la retraite progressive à 80 % dès 60 ans puissent être en mesure de le faire.
Si le Premier ministre réussit son pari de voir une partie des partenaires sociaux se retrouver sur un accord a minima, le gouvernement n’est cependant pas au bout de ses difficultés. François Bayrou s’était engagé à présenter l’accord au Parlement, une nouvelle séquence potentiellement à hauts risques.