En quoi l’élection présidentielle en Pologne peut-elle s’avérer décisive pour l’avenir de la coalition gouvernementale centriste et pro européenne du Premier ministre Donald Tusk, au pouvoir depuis 2023 ?
C’est une élection décisive pour la Pologne et pour l’Europe. Pour la Pologne d’abord, parce qu’il y a eu une élection législative amenant à une alternance. Il y a le gouvernement de Donald Tusk qui est en place mais avec un président de la République qui est issu de l’ancienne majorité proche du PiS et qui a la possibilité de bloquer toute une série de mesures législatives, et de nominations. Les initiatives du gouvernement sont souvent bloquées par le veto du président conservateur sortant Andrzej Duda. Il a donc le pouvoir d’entraver les réformes que le gouvernement de Donald Tusk a essayé de mettre en place. Et un président qui serait de la même sensibilité que le Premier ministre permettrait de mener à terme les réformes.
Mais cette élection est aussi importante pour l’Europe, je rappelle que la Pologne assure actuellement la présidence de l’Union européenne, et à ce titre elle a la possibilité d’influencer l’agenda, les priorités de l’UE. Si on se souvient du discours de Donald Tusk au moment où il a pris la présidence tournante européenne, c’était un discours qui mettait l’accent sur la priorité de la sécurité, la guerre en Ukraine c’est un moment décisif pour l’Europe. Donc on assiste au retour de la Pologne au cœur du jeu européen. Le retrait de la Pologne ou plutôt la marginalisation de la Pologne sous le gouvernement PiS de Jaroslaw Kaczynski a été préjudiciable au pays et à l’Europe, donc là il y a un retour au cœur des affaires européennes de la Pologne, c’est important car il y la conjoncture que l’on sait, la guerre en Ukraine, il y a d’autres priorités et je crois qu’il y a une constellation qui est favorable à cela. Il y a la France, l’Allemagne avec un nouveau chancelier qui affirme très clairement ses priorités européennes et il y a la Pologne, donc il y a le triangle de Weimar qui peut fournir un axe européen très important. Et le président polonais a des prérogatives non négligeables, notamment en matière de politique étrangère.
Le second tour de l’élection présidentielle aura lieu le 1er juin et il s’annonce plus serré que prévu, comment expliquer que le candidat libéral pro-européen (31,6% des voix) et le candidat nationaliste (29.5% des voix) soient dans arrivés dans un mouchoir de poche au premier tour ?
La Pologne est un pays profondément divisé. Quand on regarde la carte électorale des élections présidentielles précédentes, celle de 2015 et celle de 2020, vous avez une Pologne du Nord Ouest qui est libérale et pro européenne, et au Sud-Est une Pologne plus conservatrice qui vote pour le PiS qui est un parti eurosceptique. Ce clivage-là n’est pas nouveau. Cela provient du clivage issu de la partition de la Pologne à la fin du 18ème siècle. La Pologne a été partagée entre la Russie et la Prusse et l’Autriche et vous avez là les deux Pologne actuelles. Economiquement on parlait aussi de la Pologne A et la Pologne B, la Pologne A avec les grands centres urbains, plutôt libérale et la Pologne B des petites villes, plus rurale, traditionnelle, catholique et conservatrice. Et donc l’un des enjeux c’est de savoir laquelle de ces deux Polognes sera aux commandes à l’issue du second tour de l’élection présidentielle. Sachant que le gouvernement est déjà aux mains des libéraux mais cela n’est pas gagné, il pourrait y avoir un président de la République de l’autre camp : nationaliste, et eurosceptique. Il y a dans le discours du candidat du PiS, Karol Nawrocki, non seulement un discours nationaliste anti russe mais également un discours anti-allemand. L’Allemagne est décrite comme un adversaire, elle est perçue comme une menace, comme un pays qui cherche à dominer l’Europe et la Pologne. Et il ne faut pas oublier le candidat du parti ultra nationaliste d’extrême droite Konfederacj, Slawomir Mentzen, qui peut faire la différence au second tour. Il a réalisé le meilleur score de l’histoire du parti d’extrême droite.
C’est à la Pologne, que le secrétaire d’Etat à la Défense américain Pete Hegseth a réservé sa première visite bilatérale européenne, si les Etats-Unis considèrent la Pologne comme un allié, le camouflet essuyé par le président ukrainien Volodymyr Zelensky à Washington a mis la Pologne dans une position délicate vis-à-vis de son allié américain, quelles conséquences cette élection pourrait elle avoir sur la relation bilatérale entre la Pologne et les USA ?
Il y a en Pologne toujours eu un consensus sur l’orientation atlantiste pour des raisons de sécurité. On n’imagine pas la sécurité de la Pologne sans les Etats-Unis, il y a un accord bilatéral entre la Pologne et les Etats-Unis sur la sécurité. Mais on s’oriente de plus en plus vers une division apportée par Trump. Il y a d’un côté les Trumpistes polonais, le candidat du PiS polonais est porté par une vague trumpiste en Europe, et oui le Trumpisme divise la politique européenne parce que ce qu’a fait Trump par rapport à la guerre en Ukraine et la façon dont il a traité les Européens amènent les Polonais à réfléchir à leur relation avec les Américains, et une partie d’entre eux rejoignent l’idée que l’Europe ne peut pas sous-traiter toutes ses questions de sécurité aux Etats-Unis. Donc il y a cette idée que l’Europe doit prendre sa sécurité en main toute seule.
Peut-on espérer des réformes sociétales dans la perspective où ce serait le candidat libéral pro-européen Rafal Trzaskowski qui arriverait en tête le 1er juin ?
Pour les réformes sociétales, il faut avancer prudemment parce que ce que j’ai remarqué pendant la campagne, c’est que le candidat de la plateforme civique et maire de Varsovie est très libéral sur beaucoup de sujet, mais sur les questions de société il est resté extrêmement prudent. Et l’une des questions de société qui divise la Pologne c’est la question de l’avortement, et ils ont été très prudents. Donc pour l’instant rien ne garantit que sur ce sujet au lendemain d’une élection d’un président libéral. Mais il y a d’autres domaines qui pourraient évoluer, dans le domaine de la justice par exemple.