Le Monde et la cellule d’investigation de Radio France révèlent de nouvelles informations sur le scandale des eaux minérales en bouteille du groupe Nestlé.

Scandale des eaux minérales : « C’est le devoir de la commission d’enquête de vérifier si l’Élysée est en cause », affirme Alexandre Ouizille

Une nouvelle enquête du Monde et de Radio France révèle le niveau d’implication de l’Etat dans le scandale des eaux minérales en bouteille. Un mail atteste notamment d’échanges entre Nestlé Waters et Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée. Alexandre Ouizille, rapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur le sujet, entend bien l’auditionner.
Rose-Amélie Bécel

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De révélations en révélations, le scandale des eaux minérales en bouteille prend une tournure de plus en plus politique. Pendant plusieurs années, le groupe Nestlé Waters (Perrier, Vittel, Hépar, Contrex) a commercialisé des bouteilles labélisées « eau de source », ou « eau minérale naturelle », alors même qu’elles avaient subi des traitements de purification interdits, en raison de contaminations.

Après la révélation de ce scandale dans la presse il y a un an, Le Monde et la cellule investigation de Radio France dévoilent ce 4 février de nouveaux éléments. Une série de documents, notamment des échanges de mails, prouvent que l’Etat avait connaissance des pratiques illégales du groupe, au moins depuis 2021. Malgré ces informations et en dépit des recommandations des autorités sanitaires, l’Etat aurait laissé le groupe commercialiser son eau, cédant à un intense lobbying.

Le Sénat souhaite auditionner Alexis Kohler

Principale révélation des journalistes : les échanges entre Nestlé et l’Etat ont eu lieu au plus proche d’Emmanuel Macron, jusqu’au secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler. Ce dernier aurait ainsi rencontré les dirigeants de la firme et figure parmi les destinataires de mails qui mentionnent explicitement le sujet de la contamination des forages.

De nouveaux éléments qui viennent nourrir le travail du Sénat sur le sujet. Après une mission d’information lancée par la sénatrice écologiste Antoinette Guhl, c’est le groupe socialiste qui a déclenché une commission d’enquête autour du scandale, en décembre dernier. « Nous apprenons qu’Alexis Kohler était dans la boucle de discussion, ce que nous ne savions pas », confie le sénateur socialiste Alexandre Ouizille, rapporteur de la commission d’enquête.

En accord avec le président de la commission, le sénateur Les Républicains Laurent Burgoa, les sénateurs ont donc décidé d’élargir le champ des auditions jusqu’à l’Élysée. « Nous pourrions entendre Alexis Kohler, ou un autre conseiller d’Emmanuel Macron en fonction des personnalités en charge du dossier. Mais, visiblement, si c’est M. Kohler qui est aux commandes, c’est lui que nous entendrons », confirme Alexandre Ouizille.

En marge d’un déplacement à l’institut Gustave Roussy, Emmanuel Macron a lui-même réagi à ces nouvelles révélations. « Je ne suis pas au courant de ces choses-là. Il n’y a de l’entente avec personne, il n’y a pas de connivence avec qui que ce soit », a affirmé le président de la République. « C’est le devoir de la commission d’enquête de vérifier si l’Élysée est en cause », lui répond Alexandre Ouizille.

« Un arbitrage politique a été opéré en faveur de Nestlé »

Outre cette révélation, la nouvelle enquête du Monde et de Radio France confirme un certain nombre de constats déjà documentés par la commission d’enquête. À la fin de l’été 2021, en apprenant que la direction de la répression des fraudes (DGCCRF) enquête sur les pratiques des industries de l’eau en bouteille, Nestlé sollicite une rencontre avec le cabinet de la ministre de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher. Le compte rendu de cette réunion évoque déjà la présence de « mesures de désinfection » interdites dans les usines de Nestlé, notamment en Occitanie. Une pratique sur laquelle le ministère de la Santé est aussitôt alerté.

Pourtant, aucune mesure de signalement n’est prise par l’exécutif. « Lorsque des fonctionnaires d’Etat, des ministres, ont la connaissance d’affaires qui relèvent de délits, le code de procédure pénale les oblige à dénoncer ces faits à l’autorité judiciaire. Or, à notre connaissance, personne n’a alerté les autorités pour ce qui concerne l’Occitanie », explique le rapporteur de la commission d’enquête.

De même, les échanges de mails dévoilés par les journalistes montrent que le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, a plusieurs fois alerté l’exécutif sur l’illégalité des pratiques de Nestlé et demandé à « suspendre immédiatement l’autorisation d’exploitation et de conditionnement de l’eau » sur plusieurs sites du groupe. Des alertes qui n’ont pas été prises en compte par les ministères compétents. Ces éléments permettent à Alexandre Ouizille de confirmer qu’un « arbitrage politique a été opéré en faveur de Nestlé, contre l’avis du directeur général de la santé ». « Lorsque nous les auditionnerons, les ministres et cabinets impliqués dans cet arbitrage devront s’en expliquer », ajoute le sénateur socialiste.

Des rendez-vous à l’Elysée non déclarés auprès de la HATVP ?

Contacté par l’AFP, le groupe Nestlé a lui aussi réagi aux nouvelles révélations parues dans la presse. « Comme toute entreprise, Nestlé est amenée à dialoguer régulièrement avec les autorités de tutelle sur son activité », indique la firme, qui précise par ailleurs que les demandes formulées auprès des autorités ont été « déclarées et [sont] donc publiques sur le site de la HATVP, conformément aux règles en vigueur ». Dans la foulée, l’ONG Transparency International France a affirmé de son côté, après consultation du répertoire des représentants d’intérêts de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, que « le groupe Nestlé n’a pas déclaré ses rencontres avec Alexis Kohler et des conseillers de l’Élysée ».

De son côté, en plus des responsables politiques impliqués, la commission d’enquête sénatoriale entend bien auditionner les dirigeants de Nestlé Waters. « Il faut que nous allions au bout de la vérité, pour établir les responsabilités, mais aussi pour émettre les recommandations nécessaires à ce qu’une telle perte de confiance des consommateurs ne puisse plus se reproduire », défend Alexandre Ouizille. Ce vendredi 7 février, les sénateurs seront en déplacement dans l’usine du groupe à Vergèze, dans le Gard, où sont produites les bouteilles de Perrier.

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